Le bois lamellé est un matériau hors du commun, qui a nourri le monde de la construction comme celui de l’architecture au fur et à mesure de son développement. L’histoire de ce matériau est pétrie d’évolutions, de progrès et d’hommes de génie qui, depuis le XVIème siècle, ont contribué à développer une solution constructive à la hauteur des enjeux du XXIème siècle.

1.1. L’INVENTION DE LA LAMELLATION : 16ème SIECLE, EN FRANCE

Si l’on retrouve des traces du procédé propre au bois lamellé dès le 12ème siècle au Japon, c’est à l’architecte français Philibert De l’Orme (conseiller du roi Henri II et responsable des chantiers royaux) que l’on doit les prémices du bois lamellé en Europe. A la fois spécialiste de la pierre et de la charpente marine, il est le premier à avoir eu l’idée, en 1548, de faire avec du bois ce que, jusqu’alors, on ne faisait qu’avec de la pierre : des charpentes en voutes. Cette forme en arc permettait d’obtenir en tout point de la pièce des sections presque totalement comprimées, autorisant le franchissement de grandes portées. Il invente alors une nouvelle forme de charpente, « à l’impériale », en courbe et contre-courbe. Un type d’ouvrage que l’on retrouve aujourd’hui encore sur certains bâtiments, notamment en Lozère. Ces charpentes en arches sont composées de courtes sections de bois, solidarisées entre elles par un clavetage en bois, afin de réaliser des fermes cintrées. Le procédé de la lamellation était né.

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12 Schéma descriptif réalisé par Philibert de l’Orme et publié dans Les Nouvelles Inventions, en 1561.

Dans le traité qu’il publia en 1561 « Nouvelles inventions pour bien bâtir et à petits frais », Philibert De l’Orme présente cette technique nouvelle qui consiste à remplacer poutres et solives par des assemblages de petites pièces constituant des structures porteuses. Il souligne en outre de nombreux avantages : pallier la rareté des grands arbres, dégager les combles en éliminant tous les éléments traditionnels qui occupent l’espace dans les charpentes habituelles, faciliter l’entretien car il est plus aisé et moins coûteux de remplacer un petit élément défaillant que de refaire toute une toiture, ce qui accroît la longévité de l’édifice. En outre, ce système d’assemblage fondé sur l’addition de pièces standardisées permet selon l’auteur de couvrir des portées inimaginables avec les procédés ordinaires limités par la taille des poutres. Ainsi De l’Orme évoque-t-il la possibilité de jeter de grands ponts d’une seule arche longue de près de 400 mètres. Visionnaire.

L’architecte fait allusion à plusieurs bâtiments qu’il a couverts grâce à sa technique dans les chantiers royaux, au château d’Anet, à Fontainebleau, au Pavillon de La Muette de Saint-Germain en Laye. Tous ont aujourd’hui disparu ; en revanche, la charpente en berceau de la caserne de Rochambeau à Mont-Dauphin, bien que construite entre le 17ème et le 19ème siècle, reprend fidèlement le procédé inventé par De l’Orme et témoigne aujourd’hui encore d’un génie qui a su s’étendre et évoluer, en France, en Europe et bien au-delà.

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La caserne de Rochambeau, conçue au 17ème siècle par Vauban, dispose aujourd’hui encore de sa charpente « à la Philibert de l’Orme », réalisée au 19ème. Elle s’étend sur 230 mètres et est constituée de 430 arcs de bois lamellé.

Il y a 5 siècles, Philibert de l’Orme rédigeait ce plaidoyer pour convaincre ceux qui, à l’époque ne s’appelaient pas encore « prescripteurs », mais architectes et maîtres maçons, de promouvoir cette innovation :

« Ainsi que se pourra faire par cette invention, qui ne sera pas seulement profitable à ceux qui font bâtir, mais aussi à vous tous, pour avoir la commodité de faire plus pour cent écus que ne pourriez autrement pour trois cents. Par ce moyen, vous gagnerez plus que vous ne faites, avec ce qu’il ne vous faudra tant d’engins et cordages, ne si grandes voitures comme vous aviez accoutumé, qui vous sera une grande épargne. Et, par la façon que je vous écris, pourrez entendre cette nouvelle invention si familièrement que vous en pourrez faire beaucoup de services aux seigneurs. Vous avisant que ceux qui auront bon esprits trouveront encore d’eux-mêmes autres façons, ainsi comme j’en pense une infinité de sortes, voire plus que je n’en saurais écrire (...)

« Et vous veux avertir que quand je fus résolu et assuré de telle invention, je la laissais sans en oser parler, craignant ce que j’en ai vu depuis. Car on ne la pouvait croire, semblant être chose impossible, même aux ouvriers à qui je faisais faire les couvertures du château de La Muette à Saint-Germain-en-Laye, ayant dix toises de large dedans œuvre, qui ne l’ont pu croire bonne jusques à ce que ledit château a été parfait, et lors qu’ils ont vu l’expérience, ne la pouvaient quasi assez louer. »

Nouvelles Inventions pour bien bâtir à petits frais, Philibert De l’Orme, 1561

Rationalité économique, prouesse technologique, gestion du patrimoine forestier, facilité de transport, capacité d’évolution de l’innovation et étonnante longueur de portée... Les arguments, à l’image de l’innovation qu’ils portent, sont si solides et pérennes qu’ils ont traversé le temps.

* Sources : « Un siècle de charpente lamellée collée », Compagnons du Devoir Institut de la Charpente - Etats généraux du bois 2007 ; « Nouvelles Inventions pour bien bâtir », Ph. De l’Orme, 1561 ; Article rédigé par Yves Pauwels (CERS, Tours) – 2005.

1.2. 18 ET 19ème SIECLE : EXPERIMENTATIONS EUROPEENNES

1.2.1. 18ème siècle : déclinaison du procédé en Europe

Dès la fin du 18ème siècle, les militaires s’inspirent de Philibert De l’Orme pour la construction de manèges et casernes. Les méthodes d’assemblage des « planches » varient, expérimentant différentes solutions dont on retrouve des traces à MontDauphin (assemblage par clavette en bois), au manège d’Arras (assemblage par boulons) ou encore au manège de Saint-Germain-en-Laye (assemblage par clous).

La Suisse, réputée pour la qualité de ses ponts en bois (mieux protégés qu’ailleurs), se distingue une fois encore avec les charpentiers Hans-Ulrich et Jean Grubenmann qui réalisent à Wettingen, entre 1764 et 1766, le pont présentant la plus grande portée au monde (110 mètres furent évoqués à l’époque, mais des études semblent prouver qu’il ne pouvait excéder 60 mètres de portée libre). Composé d’arcs en madriers, assemblés les uns aux autres par des pendillards moisants, une prouesse… incendiée en 1799 par l’armée française.

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Le Manège Royal de Saint Germain-en-Laye, édifié au tout début du 19ème siècle, bénéficie d’une charpente en arcs de bois lamellé assemblés par clous ; classé Monument Historique depuis 1993. Photo : Patrimoine de France.

1.2.2. Tournant du 19ème siècle : la longueur de portée

En France, le Colonel Émy marqua l’histoire en réalisant la synthèse de ces avancées et en œuvrant à augmenter la portée des arcs. Sa solution : l’empilement de planches disposées horizontalement et cintrées perpendiculairement à leur plan ; les joints sont décalés. Ces planches sont serrées par des liens moisants, alternés avec boulons et colliers en acier. Un procédé qui fut appliqué au manège de Libourne en 1821 et à celui de Bayonne en 1826 avec des portées de 21 mètres.

Deux autres étapes majeures, moins connues, furent franchies au cours du siècle : en Allemagne et en Grande-Bretagne. En Allemagne, Carl Friedrich Von Wiebeking fit construire, lors de la première moitié du siècle, un pont à Altenmarkt, réalisé à partir d’arcs en bois. Pour la première fois, il est fait usage d’une liaison des lamelles par collage après que les lamelles aient été chauffées au feu de charbon. L’ouvrage a été largement étudié et commenté par le Colonel Émy (dans son Traité de l’Art de la Charpenterie) qui lui reproche de longs bois, coûteux et difficiles à trouver. En GrandeBretagne, la halle de réunion du Collège du Roi Edward à Southampton, construite en 1860 nous rapproche encore un peu plus de la charpente en bois lamellé, telle que nous la connaissons aujourd’hui : il est le premier ouvrage connu ayant mis en œuvre des arcs en bois lamellé dont les lamelles sont assemblées par collage. Mais il faudra attendre un demi-siècle pour que cette initiative, demeurée quasi confidentielle, soit consolidée et développée… 

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Salle de réunion du Collège du Roi Edward à Southampton, construite en 1860. Les arcs, « à la colonel Emy », sont les premiers connus à faire usage de colle : les lamelles sont assemblées avec une colle à la caséine.

1.3. 20ème SIECLE : INDUSTRIALISATION DU BOIS LAMELLE COLLE

1.3.1. Innovation et industrialisation en Allemagne : Otto Hetzer

C’est à l’aube du 20ème siècle que le bois lamellé tel que nous le connaissons actuellement fait son apparition, en Allemagne. Reprenant le « système Émy », Otto Hetzer, maître charpentier à Weimar, mit à profit les avancées de la chimie moderne en remplaçant les assemblages par boulons et colliers par de la colle.

Les lamelles enduites de colle étaient placées les unes sur les autres et pressées ensemble à l’aide de presses à vis. La recette de la colle d’Hetzer fut tenue secrète jusque dans les années 50. Mais nous savons aujourd’hui qu’il s’agissait d’une colle à la caséine, fabriquée à partir de lait. Cette colle n’était pas étanche, mais résistante à l’humidité. Elle ne satisferait pas les exigences actuelles, mais les premières structures porteuses en bois lamellé, telles que le hall principal de la gare centrale de Stockholm, remplissent encore très bien leur rôle.

Hetzer, qui possédait une scierie, était un charpentier expérimenté et un ingénieur en structure talentueux. Il a créé une entreprise, l’Otto Hetzer Holzpflege und Holzbearbeitungs AG, dans le cadre de laquelle il a développé de nouveaux éléments en bois et démontré qu’il était possible de laminer industriellement des poutres et des arcs. Invention pour laquelle il obtint un brevet en juin 1906 pour l’Allemagne, en octobre 1906 pour la France et en juin 1907 pour la Suisse.

Désormais le charpentier possédait un matériau qui le libérait de la dimension de l’arbre, de sa forme, tout en améliorant les performances mécaniques par l’utilisation de lamelles de faibles épaisseurs (15 à 45 mm) exemptes de gros défauts. 

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Charpente en arcs bois lamellé, début du XXème siècle 

1.3.2. De nouvelles perspectives

L’intérêt de cette technique est aussi celui que Philibert de l’Orme avait identifié en son temps : elle permet de ne pas tenir compte de la dimension des arbres pour construire des structures porteuses et de fabriquer des éléments de différentes formes, notamment cintrée. L’idée entre cependant avec Hetzer dans une ère industrielle.

La lamination industrialisée des planches va de pair avec une autre avancée : maîtriser la qualité et les défauts du bois. Un bois peut être utilisé pour différentes parties d’éléments en fonction de ses caractéristiques. Ceci permet d’améliorer considérablement les caractéristiques mécaniques (notamment, en traction et compression) et d’optimiser les bois. Hetzer combinait ainsi différentes essences de bois. Le hêtre, qui résiste mieux à la compression, pouvait être utilisé dans la zone de compression de l’élément mixte et l’épicéa, dans la zone de traction. Les lamelles extérieures, davantage soumises aux contraintes, devaient être non jointées ; celles qui étaient moins exposées pouvaient avoir des joints bout à bout convenablement espacés. L’épaisseur des lamelles était déterminée en fonction du rayon de courbure requis.

Soucieux de valoriser la matière et d’adapter les formes des poutres à la stricte nécessité mécanique, il réalisera le plus souvent des poutres composées en I à inertie variable. Des essais réalisés à l’époque, à Berlin et Dresde, démontraient déjà qu’il était possible d’exercer des forces plus importantes sur les poutres en bois lamellé que sur le même type de poutre en bois de sciage. 

1.3.3. Étape charnière : 1910, Exposition Universelle

Un tournant décisif dans l’histoire du bois lamellé s’est produit au moment de l’Exposition Universelle de Bruxelles de 1910, avec la construction d’un hall à la hauteur de l’événement. Cet ouvrage se distinguait par des proportions hors du commun, que le bois lamellé a permis de concrétiser. Les arcs qui constituaient sa structure présentaient 17 une portée de 43 mètres ; les sections transversales mesuraient près de 3 mètres de haut et 30 cm de large. La traction admise pour les poutres était de 136 kg/cm² (13,6 N/mm² ) : une valeur équivalente aux exigences actuelles. Cette réalisation, profitant de la visibilité offerte par l’Exposition Universelle, a évidemment largement contribué à la promotion de cette solution constructive innovante.

Cette réalisation a été le point de départ d’un constat : le bois lamellé offre une solution techniquement rationnelle et économiquement compétitive pour les structures de bâtiments de grande taille. C’est ainsi qu’Otto Hetzer a concentré ses efforts sur les édifices à grande portée tels les gares et les hangars d’aéronefs.

Le bois se comportait mieux que l’acier dans les milieux agressifs et, comme les structures en bois lamellé sortaient de l’usine sèches et prêtes être montées, le chantier n’en était que plus rapide. Entre 1906 et 1910, Otto Hetzer construisit une cinquantaine de charpentes à relativement grande portée. Quelques années plus tard, le premier de quatre hangars d’aéronefs est exporté au Chili. De 1908 à 1925, plus de 20 entreprises de différents pays ont acheté les droits d’exploitation du brevet d’Hetzer.

La société Hetzer, de son côté, prospéra, mais ne pu faire face à la crise économique qui succéda à la première guerre mondiale. La société fut liquidée en 1926. La diffusion de cette technologie nouvelle se déroula alors avec ceux qui avaient acquis la licence d’exploitation. 

1.3.4. Outil industriel : le tournant numérique

Le XXème siècle aura également été le siècle des prémices de la robotisation. Et l’industrie du bois, qui plus est du bois lamellé, a bénéficié de cette robotisation industrielle. En l’occurrence, ce sont les machines à commandes numériques qui ont offert au bois lamellé un degré de précision et de constance exceptionnels. Ces machines à commandes numériques ont amorcé un développement dès 1942. En France, l’industrie du bois s’empare de cette technologie à compter de 1995.

Jusqu’alors, l’usinage des grandes pièces s’effectuait, en général, manuellement et par petites séries. L’arrivée de ces machines a ainsi permis de réaliser des formes complexes à de plus grande cadence, avec une précision sans faille. Une révolution qui a induit un repositionnement des industriels et le développement de nouveaux process : systèmes de contrôle, logiciels de dernière génération (CAO, FAO, 3D) et ingénierie de la conception se sont déployés… Ces centres d’usinage ont, de fait, poussé la profession vers une nouvelle ère « High-tech », où la conception, le calcul et la modélisation sont en lien direct avec la fabrication, grâce à la numérisation des données.

Le premier jalon était posé et a octroyé au bois une longueur d’avance, que l’on constate aujourd’hui avec l’arrivée du BIM. 

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CAO couplée aux machines à commande numérique : le bois lamellé passe à l’ère digitale bien avant l’heure du BIM

1.4. DIFFUSION EN EUROPE

1.4.1. Suisse et Pays-Bas

En Suisse, la licence fut acquise dès 1910, par les mêmes ingénieurs qui avaient réalisé les premiers essais de résistance mécanique : Terner et Chopard. Une société est ainsi créée : la Schweizerische AG fur Hetzersche Holzbauweise. Dès 1912, l’entreprise réalise à Berne un dépôt de locomotives de 7 200 m² de surface. De nombreuses autres réalisations suivent, plus particulièrement dans le Nord de la Suisse, germanophone.

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Hangar réalisé en Suisse en 1924. Les arcs présentent une portée de 28 mètres

Aux Pays-Bas, la société Nemaho, s’est acquis dès 1921 la collaboration d’une partie du personnel et des compétences de la société Hetzer. Cette même année Nemaho réalise à Amsterdam un hall d’exposition de 30 mètres de portée. A partir de 1935, Nemaho construit dans le monde entier des ouvrages d’envergure, comme par exemple à Barranquilla en Colombie, avec un bâtiment présentant 68 mètres de portée érigé en 1952. La société a également participé à la création d’entreprises en France, en GrandeBretagne et en Afrique du Sud. La société a cessé son activité en 2009, mais d’autres entreprises spécialisées dans le bois lamellé ont pris sa suite et poursuivi le développement du marché aux Pays-Bas. 

1.4.2. Suède, Norvège et Finlande

La technique de construction en bois de structure d’Hetzer est arrivée relativement tôt en Norvège. Guttorm Brekke (qui obtient également le droit d’exploitation de la colle développée par Hetzer) démarre la production en 1918 avec la société AS Trekonstruktioner Kristiania (ancien nom d’Oslo). Entre les années 1950 et 1960, la société devient l’une des plus importantes entreprises norvégiennes du secteur du bois et prend le nom de Moelven. Moelven Industrier AS a bénéficié d’une importante publicité lors de la construction pour les Jeux olympiques d’hiver de 1994, des structures des salles de sport de Lillehammer et Hamar. Dans le cas des constructions à ossature avancée, les forces appliquées aux assemblages sont transférées à l’aide de goujons en acier et de plaques métalliques en âme. Cette technique tire son origine d’un système développé par le Suisse Hermann Blumer, appelé « système BSB ». La société Moelven a travaillé sur un système similaire, en développant sa propre variante. Aujourd’hui, Moelven est un acteur majeur dans le monde de la construction bois et du bois d’ingénierie. On lui doit, entre autres, l’immeuble Treet à Bergen qui, jusqu’en 2016, est l’immeuble à structure bois (bois lamellé et CLT) le plus haut du monde avec 14 étages. 

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Cloître cistercien de Tautra (Norvège), construit en 2006. Architecte : Jensen & Skodvin.

En 1919 la société norvégienne AS Trekonstruktioner ouvre une filiale en Suède. Le premier bâtiment en bois lamellé de Suède est un bâtiment industriel, comportant des arcs à trois rotules fabriqués selon la méthode d’Hetzer. Suivent un cinéma à Töreboda en 1920, une passerelle enjambant une voie ferrée à Älvängen en 1921… Puis arrive un ouvrage qui marquera son siècle. Le chemin de fer est en plein essor dans les pays nordiques et exige des structures à grande portée. Un contexte qui annonce la percée du bois lamellé.

En 1923, la gare centrale de Malmö devenue trop exigüe par rapport au trafic qui s’y développe, s’offre un nouveau hall en bois lamellé (la colle utilisée est la colle à la caséine d’Otto Hetzer). Aujourd’hui encore, la toiture est maintenue par les élégants arcs en bois lamellé. Le site a été classé monument historique en 1986. 

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Principal hall de la gare centrale de Malmö (Suède), construit en 1923. Le bâtiment de la gare remplit encore pleinement ses fonctions. Architecte : Folke Zettervall, SJ Arkitektkontor, Suède.

Quelques années plus tard, la gare de Stockholm succombe au bois lamellé. La jeune société Fribärande Träkonstruktioner prend en charge cette réalisation et déploie un hall de 119 mètres de long, 28 mètres de large et 13 mètres de haut. Les arcs de ce hall présentent une forme elliptique et une section transversale en forme de I. Des raidisseurs d’âme, équipés de feuillards d’acier, ont été placés à des distances précises (ce qui indiquerait que la résistance de l’adhésif n’était pas complètement fiable). 

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Gare centrale de Stockholm – le principal hall actuel a été construit en 1925. Architecte : Folke Zettervall.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le bois lamellé s’est amplement déployé en Suède, de nouveaux fabricants apparaissent, et les ouvrages se multiplient. Logements, usines mais aussi réalisations remarquables se déploient tout au long du vingtième siècle puis du vingt-et-unième naissant, comme le pavillon de l’Exposition Universelle de Shanghai (2010) ou encore le Palais Sibelius à Lahti.

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Palais Sibelius de Lahti, Suède. Architecte : Kimmo Lintula et de Hannu Tikka. Photo : Mikko Auerniitty

En Finlande, la production de bois lamellé a débuté en 1945, avec la fabrication par la société Oy Laivateollisuus AB des premières coques de navires en bois lamellé destinés à l’URSS en tant qu’indemnités de guerre. Les livraisons se sont échelonnées sur une décennie. La société s’est ensuite engagée dans la fabrication de halls en bois lamellé en y transposant le savoir-faire développé en charpente marine et en mettant en œuvre un principe de coque inversée, pour des bâtiments de grande envergure. C’est un peu plus tard, à partir de la fin des années 1950 (1958) que le bois lamellé a débuté une percée dans l’industrie du bâtiment. Le pays compte à l’heure actuelle quatre principaux fabricants de bois lamellé et un certain nombre de fabricants de moindre importance.

1.4.3. Au-delà de l’Europe… vers les États-Unis

Bénéficiant d’un important patrimoine forestier, les Etats-Unis apparaissaient comme un bon candidat au développement de cette solution constructive. Il « suffisait » d’importer la connaissance. Ce qui arriva avec Max Hanish. L’architecte-ingénieur allemand, avait créé dès 1918 une entreprise de construction au sein de laquelle il fabriquait des poutres lamellé courbes (jusqu’à 18 mètres de portée). Il émigre aux Etats-Unis en 1928. En 1934, il lance, avec ses fils ingénieurs, la société Unit Structures, à Pesthito dans le Wisconsin. L’un de ses premiers ouvrages réalisés fut le bâtiment destiné au Forest Products Laboratory (photo ci-dessous). Au début des années 1950, les Etats-Unis comptaient une quinzaine d’entreprises spécialisées dans le bois lamellé ; à la fin des années 1970 : 30 entreprises contribuaient à une production de 500 000 m3 /an. 

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Bâtiment du Forest Products Laboratory à Madisons : premier ouvrage en bois lamellé aux Etats-Unis. Les arcs présentent une portée de 16,50 mètres.

1.4.4. Panorama et bilan

Si les pays nordiques possèdent une longue tradition du bois, due à une ressource forestière conséquente, ils sont cependant loin d’être les producteurs de bois lamellé les plus importants. En comparaison, l’Autriche comme l’Allemagne – qui pour autant ont une ressource nettement moins abondante - produisent chacun près de 10 fois plus de bois lamellé que la Suède. L’Amérique du Nord, refuge d’une forte tradition du bois qui dispose également d’une ressource abondante, a offert au bois lamellé un terrain favorable. Il s’y impose désormais comme matériau de construction éprouvé. Quant à la France…  

1.5. LE BOIS LAMELLE EN FRANCE

1.5.1. Du charpentier à l’industriel

Dès 1910 le procédé fut employé partout en Europe... à l’exception de la France. Ainsi la première réalisation dont peut s’enorgueillir le territoire français (la caserne Bruat de Colmar, édifiée en 1913) fut en réalité édifiée sur un territoire qui à l’époque était allemand : l’Alsace. L’industrialisation de la charpente a réclamé plus de temps pour s’enclencher en France que dans les pays voisins, qui ont été notablement actifs lors de la première moitié du 20ème siècle. A compter des années 1950, la « dynamique bois lamellé » s’empare de l’hexagone et fait profondément évoluer le visage de la charpenterie.

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Charpente bois lamellé de la caserne Bruat de Colmar, réalisée en 1913.

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les charpentiers français commencent à s’intéresser au procédé d’Hetzer. La technique est présentée en 1947 lors d’une conférence à l’Institut Technique du Bâtiment par Jean Campredon - conservateur des Eaux et Forêts et Directeur des laboratoires de l’Institut National du bois. Cet expert fait état des réalisations en charpente bois lamellé à travers le monde, et détaille les caractéristiques des colles. L’exposé ne suscita pas l’enthousiasme escompté auprès des charpentiers. Le marché de la charpente était alors essentiellement concentré sur la rénovation. Des unités de production de taille réduite et peu de perspectives de développement : voici les deux causes majeures de cette réserve face à l’innovation.

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Atelier de charpente au début du 20ème siècle.

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50 ans plus tard… Atelier de fabrication de bois lamellé, en France, en 1965.

1.5.2. Les Trente Glorieuses : le marché tire l’industrie

En 1952, un industriel français de la réfrigération (Alizon) s’intéresse au procédé de Hetzer afin de valoriser ses chutes de bois. Mais c’est en 1954 que se produit l’événement charnière : l’action fracassante de l’Abbé Pierre et la prise de conscience face au mal logement entrainent la réaction des pouvoirs publics qui doivent apporter une réponse efficace à cette crise sans précédent. 3 millions de logements sociaux doivent être construits d’urgence. Et la construction de devenir un enjeu politique. Entre 1954 et 1970, la France passe de 90 000 logements construits annuellement à 500 000 (dont la moitié de logements sociaux). La planification économique, mise en place par le Général de Gaulle afin de moderniser et d’équiper la France, consolide cette forte dynamique constructive. Plus particulièrement, ce sont les deux plans déployés entre 1962 et 1970 (4ème et 5ème 26 plans) qui encouragent fortement le développement d’équipements collectifs : hôpitaux, bâtiments d’enseignement, complexes sportifs, salles de spectacles… Bon nombre de ces équipements seront réalisés avec le bois lamellé.

« A cette époque, un gymnase se construisait chaque jour, une salle polyvalente tous les trois jours… Des programmes dont l’importance ont permis de doter notre pays d’une véritable industrie de la construction, une des toutes premières. »

Claude Weisrock, un des pionniers français du bois lamellé et fondateur de la société Weisrock

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Montage de la Grande Halle du parc des expositions de Tours, en 1965. Architecte : AZAGURY.

Ce premier choc de développement a ainsi conduit bon nombre de charpentiers à moderniser et développer leurs entreprises tout en investissant dans des systèmes constructifs innovants et performants… au premier rang desquels se trouve bien entendu le bois lamellé. Peu à peu, de nouvelles machines et de nouvelles méthodes (dont la modélisation) améliorent la productivité. « La tendance lourde du marché a tendu la perche du progrès. Les charpentiers ont su la saisir pour évoluer vers la qualité et la modernité. En contrepartie, l’architecture contemporaine leur a permis de marquer leur époque d’ouvrages remarquables » conclut Claude Weisrock.

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Les 7 Amphithéâtres de l’Université de Reims, réalisés par Weisrock en 1967 : des gradins en béton en porte-à-faux, sont soutenus par la charpente en bois lamellé. Architectes : Duvard (Gaillardbois), Clauzier, Seet

1.5.3. Les précurseurs

En 1956 l’entreprise Margueron réalise un premier ouvrage avec l’aide du charpentier suisse François Soudan. L’année suivante, la société George Paris (devenue Noiret) lance une activité soutenue de fabrication de bois lamellé et de construction de bâtiments industriels. Mais c’est le tournant des années 1960 qui, en France, peut être retenu comme véritable démarrage de la charpente en bois lamellé. Une dynamique qui repose avant tout sur des hommes, pionniers. Pour citer quelques noms : Bernard Robert, l’entreprise Bermaho (filiale de la NEMAHO hollandaise), Georges Paris, Ephrem Longépé, Claude Weisrock, Edouard Charles, mais aussi Laganne, Yves Fournier, René Fargeot, Paul-Henri Mathis... autant d’entrepreneurs de charpente et d’hommes visionnaires, qui ont su amorcer le développement du bois lamellé et accompagner la transformation du métier en France. Dans un même élan, de grands architectes (Berthelot, Philippe et Colboc, Arsène Henri, Taillibert, Arretche, Novarinna, Azagury...) ont perçu les possibilités offertes à leur art par ce nouveau matériau, qui repoussait les limites du bâtiment et inspirait une nouvelle esthétique à la construction.

Entre les charpentiers et les architectes, de nouveaux acteurs s’imposent et modifient en profondeur l’univers de la charpente : les ingénieurs. Fanjat de Saint Font, Brochard, Lourdin, Hualde, Bernier, Truong… sont de ces hommes qui ont marqué l’histoire du bois lamellé français. En effet, dès les années 1960, les entreprises ont intégré les bureaux d’études afin d’accompagner les concepteurs dans la concrétisation de leurs projets. Indépendante ou intégrée, cette ingénierie est aujourd’hui pourvue d’outils de calcul et de dessin de pointe. Ces acteurs sont ainsi au cœur de la conception pour transformer la construction en un domaine de haute précision : depuis le dimensionnement, jusqu’aux plans d’exécution et aux données de fabrication.

Cette trilogie « architectes, ingénieurs, charpentiers », socle de la construction bois lamellé, a permis un développement de la technique à la fois rapide et très atypique, en regard du développement observé en Suisse, en Allemagne, en Autriche, ou aux EtatsUnis. Dans ces pays, le développement s’est principalement fondé sur la première transformation, qui s’est adaptée et a industrialisé son outil, menant principalement à la production, pragmatique, de poutres droites. La France s’est quant à elle, très rapidement distinguée avec des ouvrages d’architectures évoluées, présentant de grandes portées souvent issues des formes cintrées. Dignes héritiers de Philibert de L’Orme et d’Otto Hetzer, les charpentiers français ont misé sur les infinies possibilités que la performance technique offrait à l’architecture. Ainsi, en France, s’est développée, à la faveur du bois lamellé, une véritable industrie de la seconde transformation qui a su répondre aux exigences de la créativité et à la dynamique de progrès et de modrnité.

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Montage du Hall de l’Institut National des Sports (INSEP) de Joinville, en 1962. Les arcs à trois articulations qui le composent, présentent une portée de 89 mètres. Architecte : Berthelot.

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L’INSEP de Joinville a fait date : largement médiatisé (l’émission « La tête et les jambes » y était tournée dans les années 60), il prouve à la France entière les possibilités du bois lamellé. Architecte : Berthelot.

1.5.4. Une industrie, des outils de développement

Quasiment du jour au lendemain, ces charpentiers sont passés des charpentes de combles à faibles portées à des ouvrages complexes de grande envergure. Cette transition n’aurait pu se faire avec le succès qu’on lui connaît sans l’implication d’hommes très ouverts, compétents et conscients des nouvelles exigences requises pour leurs constructions. Au rang de ces exigences :

  • Une parfaite maîtrise de la résistance des matériaux
  • Une grande ouverture d’esprit
  • Une recherche constante de la qualité

Cette recherche de qualité s’est traduite par la création, en 1973, du Syndicat National des Constructeurs en Bois Lamellé Collé, présidé par Bernard Robert. En parallèle de ce nouvel organisme œuvrant au développement du bois lamellé en France, Bernard Robert mit en place les qualifications nationales QUALIBAT. Vint ensuite, en 1993, la certification ACERBOIS GLULAM, qui permet de garantir un niveau d’exigence supérieur, distinguant le bois lamellé de fabrication française. Des actions de recherche, de développement et de marketing, conduites collectivement par le syndicat, le CTBA et le CNDB ont soutenu le progrès des entreprises du bois lamellé en France.

Après sept décennies de recherches et de développement et moult réalisations à l’appui, les industriels et les constructeurs bois lamellé ont su s’imposer comme des acteurs majeurs, à la pointe du progrès. Au fil du temps, la préfabrication a été poussée à son paroxysme, permettant à la fois une maîtrise incontestable de la qualité et un gain de temps considérable sur les délais d’exécution. Aux côtés des ouvrages d’équipement – certains modestes, d’autres majestueux - qui ont fait sa renommée, d’autres types de bâtiments se sont développés : industriels, logistiques, commerciaux ou encore des immeubles tertiaires. Depuis quelques années, on observe une certaine tendance à la verticalité, en France comme partout dans le monde. De fait, le bois lamellé apporte une réponse adaptée à la construction multi-étages… et s’apprête à reconquérir le marché de l’habitat urbain pour participer à la construction de la ville de demain.

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Lycée professionnel maritime de Saint-Malo, réalisé en 2015. Architecte : Liard & Tanguy.