Les fermes à trois articulations (ou à trois rotules) sont généralement conçues avec deux chevrons inclinés formant la pente du toit. Si la ferme à trois articulations est positionnée sur des appuis rigides au sol, la poussée horizontale est absorbée directement par les appuis (Figure 9.1 (b)). Si la ferme est en appui sur des murs ou des poteaux, un tirant est généralement requis pour absorber la poussée horizontale aux points d'appui (Figure 9.1 (a)).
Figure 9.1 : Fermes à trois articulations : (a) sur poteaux ou murs, (b) sur appuis non glissants (sol)
Les fermes à trois articulations sont généralement utilisées pour des structures présentant une pente de toit importante et/ou des portées pour lesquelles des poutres lamellées-collées ordinaires sont insuffisantes. En général, la structure secondaire du toit consiste soit en des pannes, soit en une tôle ondulée porteuse, dont les fermes sont situées à 6-8 m de centre à centre. Dans le cas de fermes à trois articulations en appui sur des poteaux ou des murs, la pente du toit devra, de préférence, dépasser 14° (soit f/l ≥1/8), afin de limiter la flèche au faîtage et tous déplacements horizontaux au niveau des appuis. Si la ferme est positionnée directement sur des appuis au sol, la pente du toit devra, de préférence, dépasser 30° (soit f/l ≥ 1/3), principalement dans le but d'augmenter l'espace libre sous le toit. La portée devra se situer dans une fourchette allant de 15 à 50 m.
Dans le cas de portées plus grandes (supérieures à 50 m), les arbalétriers de la ferme peuvent être renforcés par un système de contrefiches (généralement en bois) et de tirants métalliques (Figure 9.2 a), ou bien en créant une structure à treillis sous-jacente secondaire (Figure 9.2 b).
Figure 9.2 : Fermes à trois articulations comprenant des tirants renforcés : (a) contrefiches en bois et tirants en acier ; (b) treillis en bois sous-jacent (arbalétrier).
Les sections suivantes aborderont simplement les fermes à trois articulations comprenant un tirant.
9.1. FERMES A TROIS ARTICULATIONS A CHEVRONS SIMPLES (NON RENFORCES)
Les chevrons ou arbalétriers lamellés-collés sont conçus comme des poutres soumises à des charges de compression et de flexion selon les indications du Chapitre 4, et donc en tenant compte du risque de flambement. En général, le flambement hors-plan est suffisamment limité par les pannes, le bac acier ou d'autres structures secondaires ; dans ce cas, ces dernières doivent également être dimensionnées de manière à prendre en charge les efforts de contreventement (cf. Chapitre 13). En ce qui concerne le flambement perpendiculaire au plan du toit, la longueur de flambement lc est égale à :
où l désigne la portée de la ferme et α la pente du toit. Au niveau du faîtage et des appuis, les contraintes de cisaillement et la compression locale doivent être vérifiées, en tenant compte du fait que les forces agissent à un certain angle par rapport au fil.
Pour des portées allant jusqu'à 25-30 m, le tirant peut être fabriqué en lamellé-collé. Cependant, dans ce cas, l'ancrage entre le tirant lamellé-collé et les chevrons peut s'avérer plutôt encombrant ; en effet, lorsque la poussée horizontale est importante, un grand nombre d’assembleurs mécaniques (broches ou boulons) sont nécessaires pour transmettre la force entre les chevrons et le tirant lamellé-collé (cf. également Section 14.8). De plus, les organes d’assemblages peuvent réduire significativement la section transversale efficace du bois (et donc la capacité résistante) en des points critiques. C'est pourquoi des tirants en acier sont généralement privilégiés, du fait d'un ancrage relativement simple entre le tirant et le chevron. Dans les espaces chauffés (plus de 5°C), il est possible d'utiliser de l'acier haute résistance (par ex. Dywidag). Toutefois, l'avantage de ce matériau est souvent limité, dans la mesure où la déformation horizontale du tirant dicte la conception de la ferme à trois articulations.
Lors du calcul de l'assemblage avec les chevrons lamellés-collés, il convient de prendre en considération le fait que les forces agissent à un certain angle par rapport au fil.
L’assemblage de faîtage consiste dans la plupart des cas en une articulation (sans moment) ; il est dimensionné pour supporter la compression horizontale maximale, d'une amplitude identique (mais de signe contraire, bien sûr) à celle de la force de traction dans le tirant. En cas de déséquilibre de charge, c'est-à-dire lorsque la charge externe dans les deux parties du toit est différente, une force de cisaillement se produit également au faîtage, associée à des forces et des moments internes et à des réactions d'appui.
Dans le cas de charges de gravité uniformément réparties (symboles donnés à la Figure 9.3), les réactions aux appuis et les forces et moments internes peuvent être calculés à l'aide des expressions suivantes :
Figure 9.3 : Ferme à trois articulations avec deux chevrons et une barre tendue (tirant) soumis à des charges de gravité.
9.1.1. Déformations
Sous des charges de gravité (condition de charge semblable à celle illustrée à la Figure 9.3), la flèche verticale du faîtage peut être obtenue à l'aide de l'expression suivante :
Si les appuis sont fixes, le second terme de l'expression entre parenthèses sera égal à zéro.
9.1.2. Reprise du soulèvement
Les fermes à trois articulations possédant une barre tendue (tirant) doivent faire l'objet d'une vérification du risque de soulèvement (notamment par aspiration du vent). Étant donné que le tirant ne peut pas résister à des forces de compression, la structure travaille uniquement en cas de combinaisons de charges induisant une traction dans cet élément, à savoir :
où Hi désigne les forces axiales générées dans le tirant par différentes charges (par ex. poids propre, vent), de signe positif en traction, et de signe négatif en compression.
Après développement de la condition de l'Éq. 9.10, on peut déduire une expression générale concernant le poids propre g requis pour des fermes à trois articulations présentant un tirant et une répartition typique de la charge de vent (cf. Figure 9.4). Dans des conditions de charges exercées par aspiration du vent et uniformément réparties, d'une amplitude différente au niveau des deux parties du toit (w1 et w2), et de poids propre (g) uniformément réparti, comme illustré à la Figure 9.4, l'Éq. 9.10 peut être reformulée comme suit :
où les termes entre crochets englobent les forces axiales induites dans le tirant par la charge de vent (à gauche) et par le poids propre du toit (à droite).
Figure 9.4 : Ferme à trois articulations soumise à des charges exercées par le poids propre (g) et par aspiration du vent (w1
et w2).
Si la condition de l'Éq. 9.11 n'est pas remplie, la poussée horizontale (vers l'intérieur) à l'appui doit être prise en charge par, notamment, un tirant, capable en outre de supporter des forces de compression. À noter que les poteaux encastrés à la base ne seront pas, dans la plupart des cas, en mesure de supporter une telle réaction horizontale, du fait de leur rigidité à la flexion limitée.
9.2. CALCUL PRELIMINAIRE D'UNE STRUCTURE A TROIS ARTICULATIONS POSSEDANT UN TIRANT EN ACIER ET SOUMISE A UNE CHARGE UNIFORMEMENT REPARTIE
Cette section propose des indications générales concernant le calcul préliminaire d'une ferme à trois articulations possédant un tirant métallique. Une structure typique de cette ferme est présentée à la Figure 9.5, conjointement avec les principaux paramètres géométriques.
Figure 9.5 : Structure à trois articulations typique possédant un tirant métallique.
Lors de l'étape de dimensionnement préliminaire, les variables détaillées ci-après sont généralement connues :
- Charge de calcul uniformément répartie qd (symétrique)
- Pente du toit α (généralement ≥ 14o )
- Portée l (généralement ≤ 50 m)
Toutes les valeurs de calcul de résistance du matériau sont également connues, dans la mesure où elles dépendent de la classe de résistance du lamellé-collé choisi.
Le calcul préliminaire permettra d'estimer les dimensions des sections transversales du chevron et du tirant.
Largeur du chevron, b
Afin de réduire les problèmes d'instabilité latérale, particulièrement au moment du montage, la poutre devra présenter une largeur comprise dans la fourchette suivante :
Hauteur du chevron, h
En général, la distance i entre les pannes est choisie de manière à empêcher tout flambement hors-plan du chevron (i ≤1,8 m). Dans ce cas, pour les structures avec une classe de service 1 ou 2 et la durée de charge la plus courte à moyen terme (c'est-à-dire kmod =0,8), il est possible d'estimer la hauteur de poutre requise à l'aide de l'équation suivante (dimensions exprimées en mm et forces exprimées en N) :
Aire de section transversale du tirant,
As En général, afin de limiter les déformations horizontales, il est déconseillé d'utiliser des qualités d'acier à très haute résistance. Par ailleurs, il conviendra d'éviter les types d'acier présentant une résistance à la traction trop faible, compte tenu de la difficulté à concevoir des extrémités filetées de bonne qualité. Il est donc préférable de recourir à des types d'acier présentant une limite élastique allant de 355 à 600 MPa. L’aire efficace (ou surface nominale) requise pour les tiges filetées peut être estimée au moyen de l'expression suivante :
où fub correspond à la résistance ultime à la traction de la tige en acier.
9.3. VERIFICATION DES ETATS LIMITES DE SERVICE
Dans le cas de portées plus grandes (l ≥ 24 à 25 m), c'est généralement le déplacement vertical du faîtage à l’ELS qui dicte la conception. Ainsi, la section transversale du tirant est souvent surdimensionnée sur le plan de sa résistance à la rupture. À titre indicatif, le déplacement vertical du faîtage devra se trouver dans la fourchette l/500- l/700 pour les charges de service d'une durée instantanée.
9.4. DETAILS
9.4.1. Ancrage du tirant au chevron
L'ancrage du tirant transfère uniquement la force de traction horizontale du tirant vers le chevron. En général, le tirant est soit en acier, soit en lamellé-collé (cf. Section 14.8). L'ancrage est configuré de telle sorte que la force de traction agisse le plus proche possible de l'intersection des lignes d’épure de la poutre et du poteau.
Des tirants en acier sont adaptés dans le cas de forces de traction faibles et fortes. Pour des charges modérées, il est possible d'utiliser un seul tirant en acier, traversant un trou central du chevron et fixé à la face d’extrémité du chevron au moyen d'une plaque d'ancrage (cf. Figure 9.6 (a)). Si les forces de traction sont importantes, cependant, il conviendra de mettre en place deux tirants de chaque côté, éventuellement complétés par un troisième placé au milieu. Dans ce cas, il est conseillé d'utiliser un profilé en acier supplémentaire (par ex. profilé UPE), entre la plaque d'ancrage et le bois, afin de répartir la charge de compression élevée sur une surface plus grande (cf. Figure 9.6 (b)). La plaque métallique agissant à l'extrémité du chevron devra être perforée, afin de faciliter le montage.
Figure 9.6 : Ancrage du tirant en acier au chevron : (a) détail adapté en cas de forces de traction modérées ; (b) détail adapté en car de forces de traction importantes (cf. Section 14.8).
Si les forces de traction sont modérées, il est également possible d'utiliser des tirants lamellés-collés. Dans le cas où un seul tirant est utilisé, l'ancrage du tirant dans le chevron peut être réalisé avec, notamment, une plaque en acier, laquelle enveloppe l'extrémité du chevron (cf. Figure 9.7 (a)), ou bien se termine à une petite distance de l'extrémité de la poutre. Une autre solution consiste à utiliser des broches et des plaques insérées pour assembler le chevron et le tirant (cf. Figure 9.7 (b)). Si un double tirant est utilisé, l'ancrage peut être réalisé au moyen de broches, de boulons ou de vis (cf. Figure 9.7 (c) ; cf. également Section 14.8).
À noter qu'un tirant en acier non protégé ne satisfait généralement pas les exigences de résistance au feu (par ex. R30 ; cf. Chapitre 15). Une protection très simple à mettre en œuvre consiste à appliquer des éléments en laine minérale préformés. Dans le cas d’exigences élevées sur le plan visuel, la laine minérale peut être enveloppée dans des tubes en plastique. À noter également que la longueur augmente considérablement du fait de la hausse de température malgré l'élément isolant. Par conséquent, les appuis doivent être dimensionnés en tenant compte de ce phénomène.
Figure 9.7 : Ancrage du tirant lamellé-collé au chevron : (a) assemblage avec tirant simple et une plaque en acier enveloppant l'extrémité du chevron ; (b) assemblage avec des broches et des plaques insérées ; (c) assemblage avec un double tirant.
9.4.2. Assemblage de faîtage articulé
Les assemblages de faîtage articulés transfèrent les forces horizontales et verticales (cf. Section 14.7). Étant donné que les moments ne sont transférés que de manière limitée, ils ne sont pas pris en compte dans le cadre du calcul. L’élément de fixation devra permettre des variations d'angle des poutres. Si un tel mouvement est impossible, d'autres contraintes interviendront, susceptibles de provoquer des dommages non prévus à la structure.
L'assemblage consiste en des éclisses externes faites de plaques perforées (cf. Figure 9.8 (a)). Ces dernières peuvent être associées à un connecteur cruciforme en acier inséré dans les cas où les forces de cisaillement au faîtage sont importantes (cf. Figure 9.8 (b)).
Figure 9.8 : Assemblage de faîtage articulé : (a) force de cisaillement au faîtage modérée ; (b) force de cisaillement au faîtage importante.
Si des forces de cisaillement importantes doivent intervenir au faîtage, des profilés en acier (par ex. type IPE) peuvent également être utilisés pour l'assemblage de faîtage articulé (cf. Figure 9.9). En général, la largeur de ce profilé métallique (a) est égale (voire légèrement inférieure) à celle du chevron. La longueur de ce profilé (b) dépend de la force de cisaillement à transmettre ; cette longueur sera égale, en général, à une valeur comprise entre 200 et 350 mm (cf. Figure 9.9).
Figure 9.9 : Assemblage de faîtage articulé permettant de transmettre les forces de cisaillement importantes au faîtage.
9.4.3. Assemblage entre le chevron et le tirant en acier
Les tirants peuvent être relativement longs. Afin de limiter les flèches et les moments de flexion excessifs sous le poids propre de la barre en acier, on recourt en principe à des suspentes. Ces dernières consistent généralement en une barre métallique de très petit diamètre (d=5 mm), positionnée selon un espacement d'environ 10 m. Une configuration type d'un assemblage entre la suspente et le chevron et le tirant est présentée à la Figure 9.10.
Figure 9.10 : Configuration type d'un assemblage entre la suspente, le chevron et le tirant.